Baisse de la luminosité à l’arrivée de l’hiver ou retour du soleil au printemps: quelle incidence les changements de saison ont-ils sur notre bien-être ? Si le syndrome de dépression saisonnière en hiver est clairement identifié, qu’en est-il au printemps ? Sommes-nous tous plus vulnérables psychiquement lors de ces périodes de transition ? Jean-Michel Aubry, Chef du département de santé mentale et psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), nous aide à faire le point.
On connaît le syndrome de déprime saisonnière à l’approche de l’hiver. Comment se caractérise-t-elle ?
Jean-Michel Aubry: Les dépressions peuvent survenir toute l’année. Mais certaines personnes ont, en effet, plus tendance à faire des dépressions en automne et en hiver, ce qui peut correspondre à un phénomène de dépression saisonnière, en partie causée par la baisse de la luminosité. Plus on va vers les pays du Nord et plus cela est d’ailleurs notable. Sous nos latitudes, on constate qu’environ 10% de la population ressent une variation de l’humeur au début de l’hiver : plus de peine à se lever le matin, moins de vitalité en général, sans pour autant que cela implique des souffrances psychiques et donc, ne corresponde pas à une réelle dépression. Il s’agit alors de symptômes subdépressifs, qui n’empêchent cependant pas la personne de vivre normalement, de continuer à aller au travail, par exemple.
Existe-t-il le même type de phénomène au printemps ?
J.-M. A.: Non, pas spécifiquement. On n’observe pas d’équivalent au printemps à cette dépression saisonnière hivernale. Ou tout du moins, cela n’a pas encore été clairement identifié. Au contraire, il y a plutôt un risque de phases d’accélération, de phases dites « hautes », chez les personnes avec un trouble bipolaire.
Au printemps, le changement d’heure et les conditions météo ont un impact sur le rythme biologique, qui peut s’en trouver déréglé. Ces déséquilibres ponctuels peuvent-ils plus généralement causer des variations de l’humeur ?
J.-M. A.: Oui, et en particulier chez les personnes ayant un trouble bipolaire. L’influence des saisons est alors bien plus manifeste. On observe, au printemps notamment, des phases hypomanes ou maniaques, durant lesquelles la personne se sentira au contraire euphorique et pleine d’énergie (lire ci-après « Qu’est-ce que la bipolarité ? », ndlr). L’allongement des jours et l’augmentation de la luminosité, et en particulier vers le solstice d’été, quand les nuits sont les plus courtes, est une période où ce type d’épisodes est le plus fréquent. Tous ces facteurs saisonniers jouent probablement un rôle sur le rythme et l’équilibre circadien. Ces conditions peuvent, en particulier, perturber les cycles de sommeil. Mais encore une fois, le lien entre changement saisonnier et variation de l’humeur n’est identifiable que chez les personnes ayant une instabilité de type bipolaire.
Observez-vous lors de ce changement de saison une vulnérabilité particulière chez vos patients ?
J.-M. A.: On constate surtout une fatigue accrue, générée par les ajustements biologiques qui ont lieu à cette période dans l’organisme : au niveau des cycles circadiens et des hormones, de la production de mélatonine (l’hormone du sommeil) qui intervient plus tardivement le soir. La sécrétion d’autres hormones, comme le cortisol est également influencée par le changement de saison. Tout cela peut affecter temporairement l’énergie et le dynamisme. Mais au printemps et en été, une fois ces changements intégrés pas l’organisme, on remarque plutôt un regain de vitalité dû, en partie, à la luminosité.
Qu’est-ce que la bipolarité ?
La bipolarité, anciennement appelée psychose maniaco-dépressive, est un trouble de l’humeur qui se caractérise par l’alternance de phases d’excitation dites hypomaniaque ou maniaque et de phases de dépression. Ces phases étant plus ou moins longues et ces états psychiques plus ou moins intenses et douloureux, il existe plusieurs stades de cette maladie qu’il est difficile de diagnostiquer. Un diagnostic qui nécessite souvent plusieurs années d’observation du patient, puis la mise en place d’un traitement médicamenteux adapté et d’un accompagnement thérapeutique.
On estime à 1 ou 2% (hommes et femmes confondus) le nombre de personnes atteintes par ce trouble en Europe, en Asie et en Amérique. Un suivi adéquat ainsi qu’une bonne hygiène de vie permet en outre à de nombreuses personnes de se stabiliser et/ou d’éviter les symptômes. Une prise en charge adaptée est enfin indispensable pour écarter tout risque de suicides, qui concernent entre 10 et 20% des malades.
Propos recueillis par Aurélia Brégnac | Contenu & Cie
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